Exposition, des peintures et aquarelles de M. Henry Caron à Amiens

Henry Caron - Pilote de la Somme - 18 mars 1924

Pilote de la Somme | 18 mars 1924

Il y a quelques jours a été ouverte, à Amiens, au « Logis du Roi », une exposition des œuvres de M. Henry Caron, organisée par les Rosati picards, qui durera jusqu’au 23 mars.
Henry Caron est un peintre Abbevillois dont les peintures et aquarelles, très appréciées dans les milieux artistiques, empruntent en grande partie leurs modèles à la région picarde.
Nous nous faisons un véritable plaisir de reproduire ci-dessous, l’article que M. Pierre Pillot consacra, dans une plaquette spéciale, à l’œuvre de notre compatriote et ami.
Les nombreux Abbevillois qui n’ont pas oublié Henry Caron ou qui ont conservé avec lui des relations amicales, liront avec plaisir, nous n’en doutons pas, ces lignes élogieuses, que justifie pleinement le talent de l’artiste.
Abbeville est une heureuse cité qui, depuis un siècle, attire, retient les artistes les « romantiques », anglais, le plus grand d’entre eux, Bonington, avaient reproduit ses carrefours, ses ruelles, alors qu’ils étaient bien plus pittoresques encore de leur temps que du notre. Puis Thaulow s’est arrêté sur le Pont de Talence, devant la fuite rapide de la Vieille Somme, et Bracquaval, au pied de Saint-Vulfran, devant les tentes multicolores des marchands du mercredi.
4 Peintres excellents ont surtout présenté depuis vingt ans, aux Salons, dans les grandes expositions provinciales, une riche galerie de vues de la ville, de ses façades et de ses eaux, des villages et des prairie de sa banlieue. Deux sont Abbevillois d’adoption : M. Abel Bertram, auquel les Rosati Picards ont demandé les éléments de leur 13e exposition, en Mai 1923, et M. G. Bilhaut (10e exposition, Mai 1922). Deux sont Abbevillois de naissance : M. A. Siffait de Moncourt (4e exposition, Mai 1920) et M. Henry Caron.
Fils d’un directeur de l’école du quartier Saint-Jacques – bien des Abbevillois ont un souvenir reconnaissant de ses leçons et de son dévouement – M. Henry Caron fit ses premières études artistiques dans sa ville natale, sous la direction de M. Jules Caudron,
– Monsieur Henry Caron travailla avec le fils de son premier professeur, Eugène Caudron, et, à l’Académie Colarossi, avec Raphaël Collin ; c’est là qu’il se perfectionna dans une minutieuse étude de l’anatomie et des mouvements humains. Lorsque des personnages apparaissent dans ses paysages, fut-ce hors du premier plan, ils ne sont jamais des taches colorées, sans silhouettes, comme d’aucuns en ont bâclé, mais bien des figures, aux très justes proportions et attitudes.
Cette exposition, en montrant une grande souplesse de vision et de pinceau, une recherche éclectique des lieux et des moments les plus divers, trahira la prédilection logique de M. Henry Caron pour sa région d’origine et surtout pour notre littoral, pour la mer changeante, très souvent grise, parfois verte, rarement souriante, la mer de Cazin, de Francis Tattegrain, de Chigot.
Le peintre l’a observée au Tréport, à Mers, assagie dans la Baie devant Saint-Valery-sur-Somme, plate ou soulevée a Cayeux. Là, l’horizon a une si large beauté, devant un assez vilain pays, que Cayeux avait, pour les peintres d’il y a trente ans, la même attirance que Berck avait exercée plus tôt, au temps du comte Lepic, qu’Equihem exerce de nos jours. M. Henry Caron y rencontrait alors Gagliardini, Boutigny, Boulard et tous recevaient avec respect et profit les avis, les critiques de Jules Dupré.
Qui aime et sait peindre est séduit, ne peut se retenir de noter les effets, les Jeux de lignes les plus divers. Si notre peintre a planté son chevalet en Bretagne (n° 10, 51, 89), en Auvergne (n° 31, 40, 94), au pied des Pyrénées (numéros 14, 78), plus souvent il s’est contenté de faire un « Voyage autour du Luxembourg », pour en rapporter des compositions simples, mais d’un grand charme poétique et joyeux (n° 11, 24, 26, 77, 81, 83).
Les veux accoutumés à la lumière tempérée de Picardie, il a eu quelque mérite à traduire avec justesse l’intensité, les heurts d’éclairages méditerranéens (n° 3) : les peintres du Nord ont souvent eu une vision sincère du Midi ; les peintres du Midi, égarés dans le Nord, l’ont presque toujours « incendié ».
Qu’il s’arrête à l’embouchure du Var ou à celle, plus familière, de la Somme, dans les sentiers d’un parc de Paris ou sur les « planches » de Trouville (n° 66), son dessin est toujours aussi ferme, la couleur aussi franche, sans tricheries, sans habiletés productrice d’agréments faciles et faux. Les effets de brume et de pluie, nombreux à l’exposition (n° 34, 36, 60) comme dans l’ensemble de l’œuvre, sont nettement démonstratifs de cette parfaite loyauté d’exécution.
Toute une part de la production de M. Henry Caron est un hommage filial a Abbeville. Pieusement, avec une émotion communicative, il a peint les églises, la géante orfèvrerie de pierre qu’est Saint-Vulfran (n° 73), les lignes sobres du Saint-Sépulcre (n° 92), la place de Amiral-Courbet, lorsque l’anime le marché (n° 6), les rues paisibles et archaïques.
Notre Somme, apaisée en canal, vue aux approches d’Abbeville ou contre son quai, a inspiré à l’artiste trois maîtresses œuvres : La Somme aux berges vertes, très remarquée au Salon des Artistes français en 1913, orne actuellement l’Hôtel de Ville d’Abbeville. Les deux autres sont exposées : La Somme, veuve de gloire (n° 2), et Le Port d’Abbeville (n° 1). Pour qui ne connaîtrait qu’un seul de ces trois tableaux, M. Henry Caron ne manquerait pas d’être classé parmi les peintres qui ont exprimé avec le plus de pénétration, de sympathie, la beauté discrète et grave de la Picardie.

Pierre Pillot